Mon grand-père et ma grand-mère se souviennent de l’Algérie française de leur enfance, de la guerre et de leur départ pour la France.

C’est avec beaucoup d’émotions qu’ils ont accepté de partager leur passé et leur enfance pour que je puisse vous le raconter.

Bouzaréah, Algérie
  • Papy, Mamie, vous êtes nés en Algérie. Comment était l’Algérie française de votre enfance ?

Mamie : Je suis née en 1937 à Bouzaréah à côté d’Alger. Et ton grand-père est né à Tlemcen. Mes grands-parents étaient arrivés en Algérie depuis 1859. Mon enfance a été plutôt tranquille. J’habitais dans un village assez libre. Tout le monde se connaissait. C’est vrai qu’il y avait plus d’Algériens que de Français mais tout le monde s’entendait bien, peu importait la nationalité. J’allais à l’école avec les filles de mon village. Mon père travaillait à l’observatoire en tant qu’astronome alors nous avions un logement de fonction, ce qui nous différenciait de la plupart de mes camarades de classe.

Papy : Pour ma part, c’était un peu plus différent. Les Français étaient d’un côté et les Algériens d’un autre mais nous nous parlions. Nous nous sentions franco-arabes.

 

Tlemcen, Algérie
  • Et avez-vous un souvenir précis de votre enfance ?

Papy : Non, c’était une enfance normale.

Mamie : Oh, c’est une bonne question ! Je vais te raconter mon histoire préférée : mon premier jour au CP, une camarade a demandé à aller aux toilettes. Quand elle est sortie, je l’ai suivi pensant qu’elle avait demandé cela pour toute la classe. Il s’est avéré que non et j’ai été punie. Pendant la récréation, j’ai dû écrire 100 fois le même mot.

Oh attend j’en ai une autre. Comme mon père était fonctionnaire, il avait le droit de passer ses vacances en France. Mes premières et plus belles vacances, nous les avons passé dans l’Aveyron pendant l’été 1944. C’était pendant la Seconde Guerre mondiale, les Américains étaient là et mon père m’a interdit d’accepter quoique ce soit d’eux. Mais j’ai désobéi et j’ai mangé une tartine au beurre qu’ils m’ont offerte.

Papy : Et moi, je ne suis jamais allé en France étant enfant. Tu as eu bien de la chance !

  • Et comment vous êtes-vous rencontrés ?

Mamie : C’est une histoire assez amusante. Comme je te l’ai déjà dit nous habitions dans l’observatoire. Un jour, j’étendais le linge et c’est là que ton grand-père m’a aperçue.

Papy : C’était le 20 juin 1960. Nous nous sommes fiancés en novembre 1961 et mariés en décembre de la même année.

  • Mais quel âge aviez-vous quand la guerre a commencé, en 1954 ?

Papy : Nous avions 16 ans quand la guerre a commencé. J’étais encore au lycée et ta grand-mère aussi si je me souviens bien.

  • A quoi ressemblait votre vie au début de la guerre ? Quels sont vos premiers souvenirs de la guerre d’Algérie ?

Mamie : Je me souviens qu’au commencement, on entendait les bombes au loin mais on ne faisait pas très attention. Tu sais, nous étions à une époque où les parents ne nous parlaient pas, personne ne nous racontait ce qui se passait.

On continuait à aller au lycée puis à la fac par le trollet. On se faisait fouiller avant de monter dedans et à l’entrée de l’école. Mais certains d’entre nous sortaient quand même s’amuser le week-end. La vie continuait en quelque sorte.

Papy : Pour vous oui, moi je suis parti faire mon service à l’Ecole d’officier de réserve à Cherchell. Jusqu’en juin 1956, je rapatriais les Arabes sur les côtes. Ce n’était pas facile mentalement. 

  • Quand et pour quelles raisons avez-vous quitté l’Algérie ?

Mamie : Mes parents sont partis avant nous et nous ont conseillé de les suivre mais j’étais enceinte alors je préférais attendre. Un jour, l’armée française nous a dit de partir, c’était en juin 1962.

Papy : Nous avons mis ce que nous avions de plus précieux dans deux caisses et nous sommes partis.

Mamie : En effet, c’était dur de tout laisser derrière nous. Arrivés sur le quai, il y avait des files de gens partout. Ce jour là, je me souviens, je portais une robe blanche à gros points bleus. Un militaire a dû m’apercevoir de loin et m’a fait signe de venir. Il m’a dit : « Vous n’allez pas rester comme ça à attendre sous le soleil alors que vous êtes bien enceinte ». J’ai eu une place mais pas ton grand-père alors on est revenus le lendemain. Nous sommes partis le 24 juin 1962. Un voyage éprouvant pour une femme enceinte et presque à terme.

  • Je n’en doute pas. Qu’avez-vous fait en arrivant en France ?

Mamie : Nous sommes arrivés à Marseille. La sœur de ton grand-père habitait là bas alors nous avons séjourné chez elle pendant 48 heures. Puis ton grand-père est parti travailler à Ajaccio dans l’armée et je suis partie chez ma sœur à Toulouse. J’ai accouché de ton père en août 1962 et en septembre, je suis partie retrouver Papy à Ajaccio.

Papy : Oui, je travaillais dans l’armée à l’époque alors on m’a basé à Ajaccio pour une année. Je ne pouvais pas aller retrouver ta grand-mère alors après la convalescence, c’est elle qui est venu me rejoindre.

Mamie : Et heureusement que je suis venue. Un an à Ajaccio était une bonne transition, le climat et les paysages ressemblent beaucoup à l’Algérie.

  • Et qu’avez-vous fait après ?

Papy : J’ai trouvé une affectation à l’école des mines à Paris. Alors, nous avons déménagé dans la banlieue parisienne. On a d’abord habité chez une de mes sœurs et puis après avoir économisé, nous avons acheté une maison à Evry. Là où nous habitons maintenant.

  • Comment avez-vous vécu ce départ forcé vers la France ?

Mamie : Pour ma part, je ne m’en suis pas vraiment rendu compte tout de suite. Ton père est arrivé et puis, nous avons dû déménager plusieurs fois. Mais lorsque nous nous sommes vraiment installés, ça a été un choc assez brutal. Je me suis aperçue que j’avais perdu mon pays, mes amis. Tout le monde est parti dans la précipitation, personne ne savait où ils allaient vivre, nous n’avions pas de moyen de contacter nos amis.

Papy : A l’époque, il n’y avait pas encore le téléphone ou internet.

Mamie : Mais tu sais cela a été très dur de se réadapter, de se refaire une vie. Nous avions laissé tous nos biens là-bas et tous nos amis. Je ne me plaindrais jamais de l’accueil en France. Nous avons eu de la chance de ne jamais être maltraités. Et je ne renierai jamais mon accent. Mais ça a été difficile.

Papy : De plus, tu sais, Constance, le racisme était profondément ancré mais nous n’avons jamais eu de problème. Je pense que de nos jours, tout cela serait très différent et les gens ne réagiraient pas de la même manière.

  • Mais alors êtes-vous toujours en contact avec des gens qui ont vécu avec vous en Algérie ?

Mamie : Pour la petite anecdote, je me souvenais de l’adresse postale de la grand-mère d’une amie. Je lui ai écris et mon amie m’a répondu. Nous nous revoyons souvent maintenant.

Papy : Oui, nous revoyons souvent des amis que nous avons retrouvé grâce à internet : copains d’avant ou sur d’autres sites qu’une de tes sœurs m’a fait découvrir. On parle du temps là-bas mais sans réellement s’attarder. Cela fait longtemps maintenant.

  • Êtes-vous déjà retournés en Algérie ?

Mamie : Jamais ! Je garde mes souvenirs et je ne veux pas qu’ils soient modifiés. Si je retourne là-bas, en Algérie, tout aura changé et je ne retrouverais plus mon passé. Ce serait trop dur à supporter. Ton grand-père a failli y aller avec ton père et ton frère mais au dernier moment, ça a été trop dur.

Papy : Je ne pense pas que nous y retournerons un jour. La plus grande partie de notre vie est en France, désormais.

 

En conclusion, mes grands-parents ne sont pas de grands bavards mais ils ont été heureux de pouvoir partager une partie de leur enfance avec nous et vous.