Le triomphe du film de Barry Jenkins « Moonlight » permet d’entendre les réflexions d’une époque : la complexité de chacun et les différences de tous sont devenues les étendards de toute une génération.

Comment, dans Moonlight, la quête d’identité de Chiron démontre les failles d’un système qui exclut les représentations de tous ?

Retour sur un chef-d’œuvre.

Miami, année 80. Le jeune Chiron tente de se comprendre et de s’accepter au travers des difficultés relationnelles qu’il entretient avec le monde : À l’école, à la maison il reçoit des coups mais souffre surtout d’une terrible absence de cadre familiale. Chiron ne parvient jamais à appartenir réellement au groupe. Il tente de comprendre son homosexualité et en retour les « autres » lui imposent sa différence par les multiples tensions qui le pourchassent et qu’il tente de fuir. Tout au long du film, la virulence des propos de chacun, les gestes et le regard des autres torturent peu à peu son esprit dans sa propre quête. Kevin, son seul véritable ami, tente d’apprivoiser son mal-être. Comme un mantra, les questions rythment les temps de vie de Chiron : « Qui es-tu ? » « Qui es-tu devenu ? ». La rencontre de Teresa et Juan permettra, par leurs échanges et leur relation fraternelle de faire comprendre à Chiron sa faculté à devenir lui-même, à s’éloigner des conventions sociales imposées dans la violence. Mais la perte de son mentor Juan, l’insistance et l’abandon des autres le feront douter de sa propre identité et il grandira dans la quête perpétuelle de devenir cet autre qu’il n’a jamais vraiment voulu être.

 Comme un mantra, les questions rythment les temps de vie de Chiron « Qui es-tu ? » « Qui es-tu devenu ? » 

Une épopée intime.

Moonlight de Barry Jenkins est une adaptation de la pièce de théâtre de Tarell Alvin McCraney “In Moonlight Black Boys Look Blue”. L’intrigue nous plonge dans une épopée intime : celle de la quête d’identité, de la quête du soi au travers du cheminement des interrogations de Chiron ; d’où il vient, qui il est, qui il sera. Les différents thèmes choisis ne sont pas les plus simples mais résonnent avec l’actualité : la violence, le harcèlement, l’homosexualité, l’accomplissement, le déterminisme social et la délinquance. Construit en trois actes, le film raconte comment un jeune noir d’un quartier pauvre de Miami dans les années 80 -ravagé par la violence et le trafic de drogue- découvre son homosexualité. Brutes, les réalités s’exposent sous nos yeux et nous heurtent unes à unes. D’entrée, se dresse un tableau difficile. L’environnement est agressif et la lente quête de sens de Chiron se heurte aux nombreuses fragilités et à la violence des autres. Un lourd silence rythme les regards et les dialogues ce qui instaure un climat pesant, le spectateur se retrouve au coeur de la réflexion  : Chiron ne parle pas vraiment, mais quand il le fait, ses mots sont terriblement tranchants. 

Le cadre social, particulièrement brutal s’intègre  au sein même de la vie de Chiron. Sa mère, infirmière perd peu à peu ses aptitudes physiques et mentales, ravagée par son addiction à la drogue elle sombre dans l’errance et l’agressivité. Chiron est témoin de sa déperdition, il se retrouve même parfois contraint d’aider financièrement sa mère à obtenir sa dose quotidienne. Délaissant son rôle, Chiron est livré à lui-même. Entre-eux, le dialogue se rompt peu à peu et chacun s’enferme dans sa douleur. Chiron finit par rencontrer Juan et sa compagne Teresa qui l’intégreront dans leur cadre familiale. Juan est dealer, la culpabilité et l’étrange sentiment de cause-à-effet pèsera vite sur leur relation.

« Cet aller-retour constant entre douceur et violence permet aux spectateurs de soulever l’entière complexité des situations. »

Une beauté souffrante.

La beauté du film repose sur sa faculté à emmener avec douceur le spectateur dans une réalité douloureuse. L’horreur des violences commises ou montrées sont présentées brutes face à nos yeux. Leurs résonances provoquent chez le spectateur un irrésistible sentiment de culpabilité et d’injustice. L’image est particulièrement soignée, les couleurs sont douces. Les bruits de la nature permettent de caresser les sensations de l’environnement des protagonistes  : le bruit du vent dans les feuilles des cocotiers, la légère brise du crépuscule face à l’océan, la sensation du sable s’écoulant entre les doigts d’une main. Cet aller-retour constant entre douceur et violence permet aux spectateurs de soulever l’entière complexité des situations.

 

Caressant les visages, la caméra affronte les regards. L’image et le son laissent une grande place à la suggestion et au silence, cette liberté de sens et de compréhension est presque agressive : nous sommes des témoins de l’injustice frappante et de l’errance morale totale de Chiron.

Pourquoi l’homosexualité de Chiron serait une source de différence mais surtout, une source de violence ?

Pourquoi Chiron ne pourrait pas s’accomplir dans son identité ?

Pourquoi la violence permet d’assouvir chez certains une phobie de l’autre, une haine de la différence ?

Moonlight, un film pour décloisonner les mentalités.

Pour beaucoup un chef-d’oeuvre, Moonlight fut honoré cette année de 18 nominations 12 prix dont l’Oscar et le Golden Globe du meilleur film. Dans l’histoire du cinéma, il est une révolution car il s’attarde à de nombreux « tabous ». Alors que depuis plusieurs années on pointe certaines failles dans les représentations au cinéma. Moonlight s’attache à retracer l’histoire d’un jeune noir en quête de son homosexualité. Aù-delà de la réflexion sur l’acceptation de l’homosexualité dans notre société, le film déconstruit un grand nombre de préjugés.

 “Le cinéma afro-américain mainstream ne

parle pas des gays(…)” Barry Jenkins dans L’Obs

Dans un entretien avec l’Obs le réalisateur, Barry Jenkins, parle des « préjugés hypermachistes de la culture hip-hop afro-américaine ». Il insiste « le cinéma afro-américain mainstream ne parle pas des gays. A tel point qu’on était incapables de savoir s’il existait un marché pour “Moonlight”. Certains réalisateurs abordent le sujet mais ils travaillent à la marge, dans un circuit très indépendant ». Casser les codes, ouvrir les mentalités à des réflexions plus larges, telle est la volonté de son réalisateur qui rajoute dans l’entretien : «  Mon ambition, c’est qu’un jeune qui a grandi à la ferme, se sape comme un cow-boy, pratique le rodéo et couche avec le plus de filles possible – “parce que c’est ce que font les hommes” – puisse être touché par cette histoire. “Moonlight” traite de l’image de la masculinité dans la culture américaine. »

Kira Victoria Arnal